ENTRE-TEMPS’ ET LA FIN DE L’ECOLE FREUDIENNE DE PARIS : Enjeux analytiques de la dissolution

Présentation de l’article paru dans : LES LETTRES DE LA SPF (Société de Psychanalyse Freudienne), n° 33, juin 2015, éditions Campagne Première. Diffusion PUF
 
Présentation par Suzanne Ginestet-Delbreil (extraits):
En janvier 1980, Lacan a adressé aux membres de l’Ecole Freudienne de Paris une lettre annonçant la dissolution de l’Ecole qu’il avait créée. Il prévoyait statutairement qu’une Assemblée Générale extraordinaire la voterait et demandait aux mille qui souhaitaient le suivre de lui écrire. C’est dans ce contexte que le bulletin « Entre-Temps » a vu le jour.

 L’EFP était une institution assez ouverte pour que Radmila Zygouris et Francis Hofstein aient pu lancer une revue « L’Ordinaire du Psychanalyste » sans en être exclus. La parole y était libre. Mais un resserrement se faisait de plus en plus sentir. Denis Vasse avait été démis de ses fonctions de vice-président pour avoir participé aux Journées d’Etudes de Confrontation organisées par René Major, membre de la SPP. Une salle avait été refusée à Michèle Montrelay qui souhaitait faire un séminaire sur la sexualité masculine et à Serge Leclaire qui avait projeté de faire un séminaire avec Antoinette Fouque, féministe engagée de la Librairie des Femmes. (…)

 Les quelques mois où nous avions assuré cette publication nous avaient montré la diversité de ces analystes que ne réunissait que l’opposition à la dissolution, la difficulté de publier un texte faisant consensus mais il nous semblait qu’il fallait poursuivre, continuer ce travail de liaison mais aussi se servir de cet organe de presse pour penser la dissolution. (…)

 Le succès de l’abonnement fut grand puisque il y a eu plus de 500 abonnés et certains ont très vite accepté une participation financière assez importante pour que la location d’un local puisse être envisagée et que la secrétaire, jusque là bénévole, puisse être salariée. (…)

 De septembre 1980 à septembre 1982, « Entre-Temps » publie les textes qu’on lui adresse, les propositions de séminaires et des groupes de travail, annonce un colloque et les réunions de travail.

 En 1982, se créent le « CFRP » et des associations par des analystes qui n’ont pas rejoint « La Cause Freudienne » créée par Lacan en même temps qu’il annonçait la dissolution ou qui ont quitté « L’Ecole de la Cause Freudienne » qui lui a succédé. « Entre-Temps » avait donc fait son temps, de nombreux abonnés souhaitaient retrouver une institution et il a été décidé d’arrêter cette publication dans une réunion de septembre 1982. Le dernier numéro en octobre comportait un appel pour ceux qui souhaitaient se retrouver dans une association.

 « Entre-Temps » est la seule publication où se retrouvent les raisons, analytiques, qui ont amené des analystes à s’opposer à une dissolution voulue par un seul. Largement diffamés à l’époque par ceux qui dénonçaient l’acte juridique du référé, les extraits des textes présentés par Jean-Yves Broudic montrent la richesse, la diversité, le sérieux de la réflexion de ceux qui ont soutenu ce projet.

 S. G.-D.
 
Introduction de l’article. Jean-Yves Broudic

 La lecture aujourd’hui des 25 numéros du bulletin Entre-temps publiés d’avril 1980 à septembre 1982 et du Cahier Entre-temps publié en 1981 présente plusieurs intérêts. Elle permet d’avoir accès aux points de vue de nombreux acteurs importants de cette époque et de cet évènement de la fin de l’EFP. Elle permet de voir ce moment de la dissolution autrement qu’une suite d’actes administratifs, puisque cette crise institutionnelle est mise en rapport avec des enjeux relatifs au transfert, à la pratique et à l’éthique analytiques et à certains points de la théorisation lacanienne. Et dans Entre-temps nous avons une élaboration théorique, à plusieurs voix, sur des enjeux psychiques du fonctionnement institutionnel et en ce sens, elle est riche d’enseignements aussi sur les fonctionnements d’autres écoles et associations de psychanalyse.

 A partir de 1967, Lacan avait espéré apprendre des fins d’analyse, au travers du dispositif de la passe, quelque chose de l’acte et du processus analytiques, de la fin de l’analyse et du passage analysant – analyste, une pensée qui puisse se transmettre dans l’école et contribuer à la formation des analystes. Mais ce que met en évidence la lecture d’Entre-temps c’est que c’est la fin de l’école EFP qui renseigne et enseigne sur l’inanalysé. Ceci est un thème récurrent chez plusieurs auteurs de textes dans Entre-temps : se déplacent sur la scène institutionnelle de l’EFP des restes de transfert, de réel, de passions, d’amours et de traumas, restes qui se révèlent encore actifs inconsciemment, obèrent les échanges d’idées entre collègues et déterminent un certain nombre de dysfonctionnements institutionnels, créant impasses et blocages. Ce qui reste inanalysé dans les cures, objet de refoulement ou de déni, réapparaît dans le réel des relations sociales au sein de l’Ecole. Ce ne sont pas les témoignages sur les fins d’analyse qui auraient alors contribué au progrès de la théorie analytique, c’est la fin de l’EFP qui nous apprend quelque chose sur ces restes réels des cures.

 Le bulletin de liaison prend assez vite l’allure d’une revue avec des livraisons de numéros d’une cinquantaine de pages, avec des textes divers, dont des études cliniques et théoriques. De ces derniers textes, ce sont ceux qui sont axés sur les questions de transfert, sur les modalités de présence et d’engagement des analystes qui nous ont le plus intéressé. Certains auteurs n’hésitent pas à y parler de leur subjectivité, de leurs ratés et limites et des effets de ce travail sur leur vécu psychique. Peut-on mettre cette liberté de ton et de contenu sur le compte de l’absence de crainte de jugements par des pairs qui ont telle ou telle fonction hiérarchique dans une école ou association d’analystes ?

 A partir du numéro douze, d’avril 1981, y paraissent de nombreux articles relatifs à la réglementation du statut des psychanalystes, puisque la gauche arrivée au pouvoir cette année-là avait des velléités d’intervention en ce domaine. Nous ne reprenons pas les textes d’Entre-temps sur ces sujets ici.

 Le bulletin publie aussi des écrits relatifs à l’initiative Entre-Temps elle-même, notamment quand se pose la question de sa continuité. Ces textes peuvent rendre compte des réunions spécifiques Entre-Temps, de son organisation (70 personnes à la réunion du 25 septembre 1982, qui décide de l’arrêt de la publication). Ils attestent de l’activité importante de cette période1.

 Notons également que les partisans de la dissolution proposée par Jacques Lacan publient durant l’année 1980 des textes dans un bulletin temporaire, Delenda, qui « répond à la nécessité d’activer le travail de dissolution » (n°1, 15 mars 1980) ; dans le cadre de ce travail nous avons consulté certains numéros de Delenda et le citons parfois, sans engager à son propos la lecture exhaustive que nous faisons ici d’ET.

 Il serait impossible et non pertinent de reproduire in-extenso l’ensemble des textes publiés dans le bulletin ; nous en proposons quelques extraits, présentés selon leur ordre de parution et classés selon les différents thèmes suivants :

 * le temps de la dissolution de l’EFP, de janvier à septembre 1980 : l’annonce de Jacques Lacan prive les analystes qui ne l’approuvent pas de lieux de travail et d’expression ; ET vient d’abord pallier à ce manque. On y trouve les premiers textes des membres de l’école qui demandent le respect des dispositions de la loi de 1901 et soutiennent que l’histoire et le travail collectifs que l’EFP représente ne peuvent disparaître du jour au lendemain ;

 * le lien social, le lien analytique et la passe :le lien entre analysant et analyste est un lien spécifique, inédit dans nos sociétés, unique, différent de toutes autres formes de lien social ; il a été défini comme un lien transférentiel, et avec la passe Lacan a proposé que des analysants-analystes élaborent quelque chose sur la nature de ce lien, sur ses effets, et sur sa fin. Mais dans une association ou école de psychanalyse, s’agit-il d’un lien social ordinaire ou d’un lien encore marqué par le transfert ? C’est de cette question dont parlent des textes d’ET qui décrivent certains fonctionnements de l’EFP et des tensions avant la dissolution ;

 * le fonctionnement d’autres institutions analytiques : une partie de l’histoire de la psychanalyse, dans ses développements institutionnels, est revisitée à partir de cette crise ; l’échec de Lacan dans son entreprise institutionnelle est-il comparable à celui de Freud sur ce plan ?

 * Lacan, portrait à plusieurs voix : les personnes qui écrivent dans ET connaissent Lacan en tant qu’analyste, théoricien, et directeur d’école. Elles sont toutes dans un lien transférentiel à son endroit, mais un lien qui a des intensités et des tonalités différentes et qui n’exclut pas la référence à d’autres pensées, la nuance ou la critique de certaines de ses idées ou de ses choix institutionnels et le développement de sa propre pensée ;

 * éléments de clinique analytique. Peut-on établir une correspondance entre les partisans et opposants à la dissolution et des orientations différentes quant à la pratique de l’analyse et à sa théorisation ? Certains textes d’ET le laissent entendre, et on en trouve quelque écho dans des textes publiés.

Cet article comporte de nombreux extraits de textes de Jacques Lacan, et de textes parus dans Entre-Temps, dont ceux de Michèle Montrelay, Françoise Dolto, Serge Leclaire, Claude Rabant, Michel Tort, Suzanne Ginestet-Delbreil, Jeanny Aubry, Lucien Mélèse, Marcianne Blévis, etc.

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1 Dans un ouvrage à paraître en 2015 aux éditions Campagne Première, Suzanne Ginestet-Delbreil revient dans un entretien sur le contexte et les enjeux de cette entreprise.

2 Les mots ou phrases soulignés le sont dans les textes originaux.

 

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